Le féminisme postcolonial émerge d’une observation cruciale : celle de l’incapacité des courants féministes, souvent issus des sociétés occidentales, à appréhender les dynamiques de domination raciale, culturelle et géopolitique. Dans son article fondamental, "Under Western Eyes" (1988), Chandra Talpade Mohanty souligne les insuffisances des chercheuses occidentales qui tendent à essentialiser les femmes du soi-disant « tiers-monde ». Ces représentations les dépeignent fréquemment comme passives, opprimées et dépourvues de toute forme d’agentivité. Mohanty précise ainsi que : « les pratiques discursives féministes occidentales produisent/figurent une 'femme du tiers-monde' composite et singulière » (Mohanty 1988, 65).
Cette critique s’inscrit dans un débat plus vaste sur l’universalisme des perspectives féministes, qui tend à occulter des contextes historiques et politiques spécifiques. Le féminisme postcolonial plaide pour la nécessité de créer des savoirs ancrés dans des réalités locales, attentifs aux conditions sociales, économiques et culturelles particulières. Il souligne également l’importance de l’auto-représentation, ainsi que de la mémoire postcoloniale et des expériences vécues, toutes considérées comme des sources légitimes de connaissance.
Des intellectuelles telles que Gayatri Chakravorty Spivak, Trinh T. Minh-ha ou encore Sara Suleri, sur les traces de Mohanty, ont mis en lumière le fait que les récits féministes occidentaux continuent de maintenir une position hégémonique dans le domaine des études de genre. Cela se fait souvent aux dépens des voix subalternes qui sont, de ce fait, marginalisées. Ce processus d’invisibilisation entraîne une omission des luttes locales ainsi que de la complexité des contextes politiques et culturels qui les nourrissent.
Le féminisme postcolonial appelle donc à une réflexion approfondie sur les rapports de pouvoir, en tenant compte de leur historicité et de leur géopolitique. Ce courant met en avant l’urgence de reconnaître la diversité des expériences et des luttes des femmes à travers le monde, soulignant ainsi la nécessité d’intégrer des perspectives variées pour enrichir le discours féministe global.
En conclusion, le féminisme postcolonial nous invite à repenser nos approches et à reconnaître la richesse des voix qui émergent en dehors des cadres occidentaux traditionnels, afin de construire une compréhension plus juste et nuancée des enjeux liés au genre à l’échelle mondiale.